Le manager a-t-il toujours sa place en entreprise?
Le 14 décembre 2017, j’ai participé au Tribunal pour les générations futures d’Usbek & Rica en tant que témoin sur cette question poil à gratter « Le manager a-t-il toujours sa place en entreprise? » devant un public de 300 Managers d’une compagnie d’assurance. Le principe du Tribunal est simple : 3 témoins qui viennent donner leur éclairage sur la question posée, un procureur et un avocat qui les interrogent à tour de rôle et des jurés choisis au hasard pour rendre leur verdict.
Voici un petit extrait des questions du procureur et de mes réponses.
Q– Il paraît que votre maxime favorite est celle d’un épouvantable écrivain, Paulo Coehlo, « Si vous pensez que l’aventure est dangereuse, essayez la routine. Elle est mortelle ». Pour vous, les organisations classiques favorisent-elles la routine ?
R-Dans les entreprises classiques, ce que les collaborateurs (salariés ou managers) vivent peut ressembler à une aventure quotidienne car le rythme est soutenu, il y a beaucoup de tâches à effectuer, de nombreuses réunions, des missions complexes et des imprévus…
Cependant dans une aventure, les « protagonistes » découvrent d’autres « univers » qui fonctionnent différemment de leur environnement quotidien, ils poursuivent un objectif commun pour lequel ils sont déterminés et motivés, ils ont envie de faire bouger les lignes et comptent sur la force du collectif…et cette aventure-là permet une transformation des aventuriers qui tirent des leçons de leurs succès et échecs et deviennent des agents de transformation dans leur univers d’origine.
Hors dans une entreprise classique, les mêmes schémas se répètent et ne permettent pas d’avancer : des procédures, des règles, des manières de régler les problèmes identiques et donc des solutions identiques…et toujours autant de choses à faire et pas réellement la considération des erreurs qui permettrait d’avancer (même si fleurissent des diners de l’échec ou des fêtes de l’erreur). Gary Hamel (conférencier international et professeur à la London Business School) a parlé de bureau-sclérose : des individus séparés en équipes puis par division et par couches de management – cela entrave la capacité et l’envie des employés de se dépasser et d’innover.
Cette aventure-là cache plutôt à mon sens de la routine. Et il faut très peu de temps à un nouvel arrivant pour être complètement intégré au paysage. Le sens critique disparaît et le mode pilotage automatique se met en place peu à peu.
Q– Le changement permanent, n’est-ce pas un peu épuisant ? Appliqué à notre intérieur, personne n’aspire à une vie de visiteur de commerce, allant d’hôtel en hôtel, on préfère notre maison douce maison comme on dit en bon français… Voulez-vous une société de commis voyageurs ?
R- Je ne souhaite pas une société de commis voyageurs mais une société du Pourquoi qui s’appuie sur des individus en mode créatif (derrière cela sous-tend de l’ouverture, de la curiosité, de l’agilité et de la créativité pour transformer les problèmes en opportunités), itératif et collaboratif quelque que soit le rôle que l’on a dans la société. Le manager devient un facilitateur de ce nouvel état d’esprit et de l’intelligence collaborative qui émerge de l’équipe. Il doit aussi développer un management positif de l’erreur.
Plusieurs autres pistes d’évolution pour le manager :
– l’intelligence émotionnelle du manager : c’est la clé de voûte du management. Le manager offre à son équipe la place de se développer, de grandir, d’être plus performante mais aussi d’échouer. Pour cela, il est nécessaire pour le manager d’avoir une bonne connaissance de son propre fonctionnement personnel pour soutenir l’inconnu et le chaos.
– Happiness Manager : Son rôle est de créer un environnement de travail propice à l’épanouissement de l’équipe.
– Le manager comme connecteur dans l’organisation : il doit lier le travail de son équipe avec le reste du business, lui donner du sens. Cela correspond à une vision organique de l’écosystème de l’équipe.
– Le Manager as a Service (MaaS) : il cesse d’être le point central du savoir en se mettant au service de l’entreprise.
Q– a parfois l’impression que ce qui est complètement naturel, presque inné pour les nouvelles générations en termes d’approche managériale et beaucoup moins pour les enfants de mai 68 qui n’ont pas forcément mis l’imagination au pouvoir… La guerre des générations est-elle évitable ?
R- la guerre des générations est tout à fait évitable. Par exemple chez Openers, nous sommes 6 associés d’âges différents. Pas de hiérarchie entre nous. Nous valorisons nos parcours et nos compétences en fonction du travail à fournir sur les projets.
L’enjeu se situe au niveau des egos. Le manager du futur incarne avant tout le rêve collectif. Son ego doit être davantage maîtrisé et il doit avoir un sens altruiste plus affirmé. Il sait arbitrer mais n’essaye pas d’avoir raison.
Pour les nouvelles générations, la notion de respect est dans les actes et non plus dans la hiérarchie. Les leaders de demain seront reconnus par leurs pairs comme ayant une véritable valeur ajoutée (capacité à mobiliser au delà du positionnement hiérarchique). Il faut pour bien intégrer de nouveaux talents limiter la tyrannie de la procédure, les laisser se gérer dans un environnement le plus flexible possible et être en ressources si nécessaire.
De plus tout le monde n’aspire pas à être manager. On peut être mentor, intrapreneur, expert leader d’un projet…
Le changement d’état d’esprit global dans l’entreprise en transformation passe par les managers :
– Donner du sens et du bon sens
– Travailler en réseaux
– Faciliter le travail, déléguer
– Expérimenter
– Etre transparent (par exemple attention aux fausses démarches collaboratives pour lesquelles le contenu produit par les équipes importe peu car le management a déjà défini ses priorités)
Il est très profitable de mélanger les générations et cela va au-delà des relations managers et collaborateurs par exemple via le mentoring ou le reverse mentoring.
Après le passage des 3 témoins à la barre et l’interrogation de ces témoins par le procureur et l’avocat, les jurés (des managers uniquement) ont conclu sans surprise que le manager avait toujours sa place dans l’entreprise mais auront l’occasion maintenant d’intégrer des angles de vue différents pour justifier leur avis.
Yvane